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Lilian web

Petites coupures de Pascal Bonitzer

16 Juin 2014

Petites coupures de Pascal Bonitzer

"Au milieu du chemin de notre vie / Je me retrouvai par une forêt obscure / Car la voie droite était perdue." C'est ainsi que commence La Divine Comédie de Dante alors que le poète se perd dans l'Enfer. Pascal Bonitzer a fait de ce passage le point de départ de Petites Coupures : un homme perdu entre plusieurs routes, toutes aussi sinueuses les unes que les autres. Cela donne la plus belle scène du film : Bruno, après un accident de voiture dans la forêt, erre dans le brouillard. A ce moment précis, le film est à la lisière entre le réalisme très français dans lequel il s'inscrit et un fantastique inédit. Bruno trouve dans une maison au milieu de la forêt - on n'est pas loin du conte - une Béatrice, la muse de Dante et celle qui, comme son nom l'indique, détient peut-être la clef du bonheur. Elle est mystérieuse, elle vient d'ailleurs - et pour cause, elle a l'accent de Kristin Scott Thomas - et elle mène Bruno, l'homme perdu, vers un autre lui-même. Mais Bruno n'est pas poète, il est communiste, et Béatrice, comme Nathalie, la jeune maîtresse de Bruno, sont à mille lieues de ces préoccupations. Elles jouent toutes les deux le rôle de femmes désirables, la maîtresse jeune, la maîtresse mariée et un peu impossible mais pas trop quand même. Elles sont les jalons d'un film on ne peut plus attendu, un film de couple, d'adultère et d'homme mûrissant qui aime les femmes, toutes les femmes.


Le film n'est pourtant pas dénué de subtilité. Bonitzer et Salinger, qui l'a assisté au scénario, ont pris soin de faire évoluer chaque personnage. La petite gourde (Ludivine Sagnier) est en fait un oiseau blessé, la femme trahie (Emmanuelle Devos) s'abandonne à son tour à l'infidélité, la femme trop stricte (Pascale Bussières) rêve d'amour, le mari délaissé est un passionné, etc., etc. Tous les personnages se révèlent au fil du film en recherche d'amour, papillonnants.


Une bague passe de main en main et ne peut s'accrocher à aucun doigt. Des objets se perdent, se retrouvent et font lien entre les personnages. Déjà dans Va savoir de Rivette, dont Bonitzer a signé le scénario, une bague volée était retrouvée dans un pot de farine. Il y a beaucoup d'ironie dans ces objets qui régissent le film comme autant d'actes manqués : le rouge à lèvres de la maîtresse, retrouvé par la femme qui lui prête ; ou le revolver confisqué par Bruno, confié à un autre et finalement utilisé contre lui.


Petites coupures ne se construit pas uniquement autour de ces afféteries d'objets, mais aussi, dès son titre, sur la blessure. Tous les personnages, surtout Bruno, se blessent. Le film est rythmé par les accidents de voiture, les branches qui blessent, les bagarres, et les doigts, coupés, mordus… Bruno ne sort pas indemne, comme aucun des autres personnages, malades, accidentés, sur le point de s'évanouir,… C'est là qu'il y a un vrai malaise, quelque chose qui explique le dandysme de Bruno, le rend vulnérable. Dans un autre film co-écrit par Bonitzer, Ma saison préférée, le même Daniel Auteuil passait une jambe par-dessus le balcon pour se suicider. Il se rendait compte de son erreur mais, perdant l'équilibre, il tombait et se cassait les deux jambes. Cette grande scène tragi-comique trouve quelques échos dans Petites Coupures, mais la douleur du film de Téchiné était vraie, ressentie, et pas une prouesse de scénariste. Bonitzer cinéaste a trop conscience de ses effets ; il joue avec, mais ne laisse jamais le film vivre. A la fin, Béatrice dit à Bruno qu'ils jouent un vaudeville et non un drame. Cette réflexivité donne la clef du film : brillant, conscient de lui-même, très conscient. Malgré l'excellence des acteurs, la beauté de la lumière signée Lubtchansky, on n'est jamais touché; on se contente de le regarder de loin comme du travail bien fait mais infiniment vain.

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